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TRIBUNE DE DENIS PIVETEAU

Dans un récent rapport établi à la demande du Premier ministre [1], je me suis efforcé d’attirer l’attention sur le fait que le «développement du pouvoir d’agir » (qualifié aussi, mais avec des nuances et des différences dans lesquelles on ne rentrera pas ici, « d’empowerment » ou « d’autodétermination »), loin d’être le dernier concept à la mode pour l’accompagnement des personnes en situation de vulnérabilité, se posait en réalité en matrice globale du travail social d’accompagnement.

Et surtout, que sa prise au sérieux – c’est-à-dire tout simplement la compréhension de ce qu’il s’agit d’un passage inévitable, tout le reste n’étant qu’une fuite en avant de l’Etat-providence dans une spirale d’inefficacité et de découragement – que sa prise au sérieux, donc, est un choc systémique sur nos organisations, publiques et privées.

Le pouvoir d’agir ne divise pas

L’affirmation n’a rien d’excessif. Pour des raisons qu’on peut dire en 50 pages (c’était l’objet de ce rapport) mais qu’on peut aussi bien formuler en quelques mots, qui sont que le « pouvoir d’agir » ne se divise pas.
Par construction, il conduit chaque acteur à interpeller toute la société qui l’environne, sans exclusive. Et il embarque avec lui toute une chaîne de relations.

Car reprenons au début : l’accompagnement de la vulnérabilité qui repose sur le « pouvoir d’agir », c’est en somme et sans faire de théorie, la mise en pratique de ce que la participation effective – la présence ordinaire et citoyenne – de la personne accompagnée dans son environnement de vie n’est pas un but à atteindre, comme le serait une possible guérison future, mais un point de départ, une donnée, un état reconnu par principe et à chacun.

Or cette reconnaissance préalable de chacune et chacun comme expert/e de ses propres aspirations – et acteur, parce que reconnu dans cette expertise – ne peut se déployer de manière durable que s’il diffuse tout le long de la chaîne de l’accompagnement, depuis le professionnel de proximité jusqu’à ce qu’il était autrefois coutume d’appeler l’autorité administrative de « tutelle ».

Ainsi, on ne peut pas aider une personne à faire de manière autonome des choix de vie quotidienne si, en tant que professionnel de proximité, on ne dispose soi-même d’aucune autonomie dans la gestion de ses tâches et de son temps. Et on ne pourra pas concéder une telle autonomie à un collaborateur salarié si l’on est soi-même un encadrant déresponsabilisé, perpétuellement occupé à rendre compte à une hiérarchie de ratios à atteindre. Et on ne devra pas attendre d’un employeur qu’il développe un management participatif si l’autorité administrative qui lui sert d’interlocuteur est elle-même privée de toute latitude de décision, etc.

Bref, injecter quelque part un esprit authentique de développement du pouvoir d’agir oblige très vite à passer au crible tous les éléments d’environnement et de contexte : les organisations et leurs modalités d’évaluation, les formations et les parcours professionnels, les modes de tarification et de rémunération, les statuts des structures, les contractualisations avec les pouvoirs publics et l’attitude de ces derniers … rien n’y échappe.

Une question qui n’est jamais posée à l’auteur d’un rapport :  « quoi faire maintenant » ?

C’est à elle que je voudrais essayer de répondre ici, allant donc un peu au-delà de ce qu’il m’avait été demandé d’écrire et en lançant, en quelques mots, ce qui n’est même pas une idée, seulement une esquisse.

D’un certain point de vue, l’objet même de cette question comporte, en son sein, le début d’une réponse. Car en matière de «développement du pouvoir d’agir», tout doit toujours partir d’une analyse mettant en avant les capacités à faire plutôt que la liste des obstacles qui se dressent, l’identification des ressources dont on dispose plutôt que le recensement de ce qui fait défaut. Or se demander « par où démarrer » dans le déploiement d’une stratégie globale du pouvoir d’agir, c’est soulever une sorte de méta-question de « pouvoir d’agir » collectif.

Et sur ce point ma conviction est que nous disposons, toutes et tous lectrices et lecteurs de cette tribune qui exercent une profession sociale ou des responsabilités dans ce milieu, d’un nombre de leviers considérables dans nos pratiques du quotidien, l’enjeu étant de les identifier et de les mettre en partage.

Leur mobilisation ne devrait pas avoir à attendre une consigne qui vienne de quelque part : car la diffusion d’une culture du pouvoir d’agir ne peut pas – en tous cas : ne peut pas seulement – descendre d’en haut par circulaire. Tout simplement parce que ce serait la négation même de ce qu’elle est dans son essence.
Bref, il serait normal qu’elle apparaisse comme un surgissement diffus et multiple – ainsi que vient de l’illustrer cette claire et récente manifestation du pouvoir d’agir des personnes vulnérables que sont les créations « d’habitats partagés » – et qu’elle trouve ensuite son relais et son amplification grâce à des acteurs institutionnels qui auront su, en leur sein, développer une écoute de ce mouvement, au nom de leur propre « pouvoir d’agir « .
En somme, pour le passage à l’acte, c’est sans doute moins d’une « grande loi » ou d’une « politique publique » dont nous avons besoin que de l’expression lisible d’une large volonté commune, d’une « charte » d’action partagée, qui permette à une multitude de désirs de faire, présents dans le corps social et dans les structures institutionnelles, de se découvrir, de se reconnaître … et de s’aligner.

Denis Piveteau

Denis Piveteau

Président de la Fédération Simon de Cyrène.
Conseiller d’État, Auteur des rapports « Zéro sans solution »
et « Demain, je pourrai choisir d’habiter avec vous ! »

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